mercredi 18 avril 2012

Lettres à soif (2)

On sait assez peu que la Savoie est un grand terroir, que ses cépages Altesse et Mondeuse sont à même de ravir mes amis Friand de La Goulayance, Raffiné du Granpalais et Jean-Claude. Pas Tergal, mais Pirotte, écrivain passionnant mais certainement délaissé - quoique ne recherchant surtout pas la gloriole littéraire - qui a tout d'un flamenco, à part qu'il est wallon !

Allez, on se déplope une bouteille de chez Dupasquier - vigneron protée à Aimavigne (non, ça ne s'invente pas ) sur la commune de Jongieux...


...et on laisse glisser le breuvage dans le verre...puis on Pirotte, euh, on sirote en lisant ce qui suit :

"Je vous parle des Abîmes de Nyans. Dante, sans doute, a rêvé ce paysage, dans l’automne tourmenté. Sur les parois la neige déjà s’accroche. De la montagne effondrée semble jaillir un grand vent qui grince et tourbillonne. Les Abymes exigent de l’homme un langage plus âpre, une pensée plus rugueuse. On dirait que la mort veille entre les pans d’immenses roches éboulées. On dirait que la mort veille sur le plateau déprimé que les ceps racornis, privés de leur dernière lueur rousse, habitent obstinément dans l’effroi du prochain hiver.
Je vous parle des Abymes. Je vous parle d’un enfer sans flammes, un enfer glacé, que l’homme maigre et sec arrache d’âge en âge à sa nature d’enfer. Je vous parle avec pompe des Abymes. Car ce terroir balance entre l’emphase et le silence, entre la rigueur et l’échevèlement. C’est ici la porte de l’exil, l’est d’Éden, mais le souvenir tenace de l’éden, on croirait en effet que ce souvenir seul, inspire à la sève les cycles de son élan.
L’altesse et le chasselas, le jacquère et la mondeuse blanche, la petite-sainte-Marie et le gringet défient la montagne. Et l’on raconte que l’altesse fut rapportée de Chypre par un Croisé, qui la planta dans le sol le plus rude et le plus aride, au cœur du chaos, à la grâce de ce dieu dont il portait la croix. Et l’altesse donna le vin blanc le plus vif et le plus fruité, pour faire la nique au diable qui secouait la montagne. Depuis ce temps, la roussette de Savoie fait danser les filles qui se moquent du diable, et c’est, dit-on, les soirs de bal et de tempête, que le diable impuissant pleure et mendie un verre de vin frais des Abymes."

© Jean-Claude Pirotte (Les contes bleus du vin)

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire