Aujourd'hui dans "lettres à soif", un exercice délicat : trouver les mots pour accompagner un vin qu'on n'a pas bu, pour évoquer un vigneron aux mains inconnues qui taillent des ceps qu'on n'a jamais vu grandir...
Le cépage c'est le Chenançon, l'homme, Alexandre Fouque, et le breuvage, La Tour Penedesses.
Seuls l'exaltation d'EUGENIE après l'avoir goûté et le village accolé aux indications obligatoires sur toute étiquette vineuse m'éclairent. Le nom du lieu ? Gabian.
Le gabian - "lo gabian"- est d'abord un piaf. Enfin, un piaf : un goéland tel qu'on en voit à Porquerolles par exemple. Mais si on lui met une majuscule, alors c'est une chanson de Claude Marti, chantre d'Occitanie. C'est parfait, il y entonne le raisin :
"S'acabavan las vendémias
Avem vist dins lo cèl blau
Per damont la roca blanca
Un gabian clar de la mar.
Avem vist dins lo cèl blau
Per damont la roca blanca
Un gabian clar de la mar.
-Gabian de alas blancas
Ont as daissat ton estanh ?
Las rassisas e las rasas
Son pas de bon repausar !"
(C'était vers la fin des vendanges
Nous avons vu dans le ciel bleu
Au dessus de Roca Blanca
Un " gabian " clair venu de la mer
Gabian aux ailes
blanches
Pourquoi as-tu quitté les étangs ?
Les chemins d'entre les vignes
Ne sont pas les meilleurs pour toi !)
Pourquoi as-tu quitté les étangs ?
Les chemins d'entre les vignes
Ne sont pas les meilleurs pour toi !)
Je voudrais pourtant quelque chose qui soit plus près de la terre Héraultaise, un regard vers ce qu'elle inspire certainement à notre vigneron dans le soir d'une parcelle de Chenançon qui sent le cacao. Peut-être même dialogue-t-il avec elle....
Qui mieux dans ces instants que Joë Bousquet pour saluer tout cela :
"Un regard si grand que sa nuit originelle se perdait en lui, comme un point, si
vaste qu’il eût franchi la conscience du jour et de la nuit et qu’il fût silence
embaumé, solitude pour avoir outrepassé les limites d’un sens. Et que ce sens
eût renfermé son immensité sur l’existence des autres.
Regard, il est
lumière, il est parfum, il est saveur. Silence illuminé, il est la parole à son
comble..."
( © - Joë Bousquet / in D'un regard l'autre / Éditions Verdier )