mercredi 2 mai 2012

Lettres à soif (4)

"Ivres les ondes !...
J’ai vu bondir dans l’air amer
Les figures les plus profondes..."

Il y a des bouteilles qu'on n'oublie jamais, elles frottent leur fulgurance, lissent leur queue de paon, dans une mémoire foutraque où s'empilent les chopines des vins de vie (salut à toi, ô François du Grand Cléré ). Ces bouteilles délient la langue au fur et à mesure que le précieux liquide qu'elles contraignent se libère dans un verre à pied et ad hoc.

Quel choc, l'autre nuit, quant au bout d'une dégustation d'envergure nous prîmes de plein fouet, EUGENIE et moi réunis, le blanc vin d'Hirotake Ooka, un Saint-Péray du domaine de la Grande Colline. 


...


Nous n'arrêtions plus de deviser dès lors que nous fûmes convaincus d'être en présence d'une immense libation, de celle qui marque un chasseur d'ivresse. Eh bien, nous étions servis : la gibecière était replète, à chaque verre le vin se révélait différent, allant du voluptueux à l'épure.

Les mots qui me viennent une fois revenu aux pénates sont ceux de Valéry, celui du "Vin perdu". Mais le patronyme du vigneron n'est pas anodin, il exhale le chrysanthème. Cette variété florale par chez nous évoque la Toussaint, donc le sapin dont on fait nos boîtes à trépas. Pourtant pas une trace de bois dans cette Marsanne vinifiée le plus naturellement du monde. Evidemment, ici c'est  le beau symbole de l'archipel nippon qui s'exprime. Forcément.

Alors pour dire notre admiration et nos remerciements à Hirotake voici le chant de l'Iroha :

"Les couleurs sont parfumées,
mais pourtant elles disparaissent.
Qui peut dans notre monde
rester sans changements.
La haute montagne des aléas,
aujourd'hui, j'irai au-dessus d'elle.
N'ayant ni les rêves vains,
n'obtenant ni l'ivresse du vin."

Tiens...on dirait un poème pour l'entre-deux tours - Qui peut dans notre monde rester sans changements - pour vous donner envie de boire du blanc dans un désir de rouge. C'est mon côté métaphore. En bouche.

Allez, Kanpai !*

(* à la vôtre ! en japonais)

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